Pour mon tout premier article, je souhaitais aborder la question du chamanisme et de l’image que ce terme renvoie. En effet, au cours d’une conversation que j’ai eu avec une amie, celle-ci m’a fait cette réflexion : « tu es chamane, tu joues du tambour alors ? ». J’ai dû lui expliquer que je n’en jouais pas. Et de rajouter que le tambour n’étais pas indispensable, qu’il s’agissait juste d’une aide pour certains chamane d’entrer en transe. Ma réponse l’a d’ailleurs passablement étonnée, persuadée que le chamane œuvrait nécessairement à l’aide d’un tambour, de plantes, etc. Cela m’a fait prendre conscience que le chamane souffrait d’une image très stéréotypée. Parfois utilisée par certains pour jeter le discrédit en caricaturant les « néo-chamanes » des sociétés occidentales. Je voulais donc aborder plus en détail ce qu’est le chamanisme et les pratiques du chamane.
Qu’est-ce que le chamanisme ?
Il faut déjà s’attarder sur ce terme de « chamanisme ». D’un point de vue purement ethnologique, ce mot ne désigne rien de précis scientifiquement parlant. Par contre, dans le vocabulaire du quotidien, le chamanisme désigne l’ensemble de pratiques, rites et techniques spirituelles propres au chamane.
Un ensemble de pratiques spirituelles interculturelles
Il existe plusieurs cultures chamaniques : amérindienne, sibérienne, mongole, hispanique, nordique, etc. Mais lorsqu’on parle de chamanisme dans le langage courant, on fait souvent référence aux pratiques communes de ces traditions chamaniques particulières tels que l’induction de transe par divers moyens (musique, chants, absorption de substances, etc.), les voyages spirituels, les contacts avec les esprits, l’usage des plantes, la rencontre de son animal totem, etc.
Le chamanisme se caractérise donc par des pratiques communes à toutes les traditions où officient des chamanes. Ces pratiques visent à se connecter plus profondément à la Nature et aux esprits qui la composent ainsi qu’a ceux des autres mondes.
Confusion fréquente avec l’animisme
Le chamanisme concerne donc non pas une discipline spirituelle, mais un ensemble de pratiques permettant d’accéder à des pans de la réalité communément inaccessible dans un état de conscience normal. En réalité, le chamanisme est souvent confondu avec l’animisme, qui est le système de pensée. Ce dernier offre une vision du monde complexe aux relations multiples avec l’humain. Cette notion sera abordée au cours d’un article dédié plus tard. Précisons juste que l’animisme propose une perception de la réalité où toute chose est habité par un esprit. Les personnes et cultures animistes recourent au chamanisme pour vivre et expérimenter cette perception.
Quelles sont les pratiques liées au chamanisme?
Il en existe une grande diversité. Rien que pour l’induction de transe, plusieurs techniques sont possibles : le rythme musical (souvent au moyen d’instruments à percussion), le chant, les vocalisations, la méditation profonde, parfois un mélange de tout cela.
Des pratiques culturellement communes, individuellement divergentes
Ces diverses pratiques changent selon les traditions, mais aussi en fonction du ressenti du chamane. Car même s’il y a des préférences ou des usages culturels, qui se perpétuent par l’initiation des chamanes, il n’y a pas pour autant de règles précises. Le chamane reçoit aussi une guidance et des messages des êtres spirituels avec qui il échange. Il écoute ses intuition, il reste à l’affût de ses sensations même les plus subtiles. Aussi, un chamane pourra utiliser des techniques très différentes d’un individu à l’autre.
Cela est d’autant plus vrai pour les chamanes œuvrant dans la société occidentale : n’ayant pas de point de repère traditionnel, ils doivent d’autant plus se fier à leur instinct et leurs intuitions. Réinventer leur propre chamanisme en somme. Il n’est pas rare que le chamane occidental, souvent appelé « néo-chamane », s’inspire d’une tradition chamanique (vivante ou disparue) comme base pour développer son art. Dans mon cas personnel, je me suis beaucoup inspiré du chamanisme nordique à la fois par attraction pour cette tradition, goût personnel et mon intuition qui me soufflait d’explorer cette voie. J’ai même eu la visite d’entités en particulier qui m’ont encouragé à emprunter cette voie, mais cela est une autre histoire que je vous conterai à un autre moment.
Les principaux outils du chamanisme
L’un des plus connu est bien entendu le tambour. Mais en réalité, on observe que le tambour ou autres instruments de musique n’est pas la règle. De même que pour l’usage des plantes (qui lorsqu’elles sont utilisées changent en fonction de la région du monde), des chants, etc. Par exemple, les chamanes nordiques utilisaient beaucoup plus les chants et vocalisations plutôt que les instruments. De même chez les Celtes, dont les druides avaient des pratiques apparentées à du chamanisme, nous ne retrouvons aucun tambour.
En revanche, ce n’était pas le cas chez les peuples voisins du cercle polaire : à l’inverse des scandinaves les Saami et les Lapons utilisaient fréquemment le tambour. Cependant, il est fort à parier que des variations dans les techniques pouvaient exister chez les nordiques eux-mêmes en fonction de leurs proximité avec ces autres peuplades du Nord. Nous savons que des échanges réguliers avaient cours entre les Scandinaves et les populations du cercle polaire, allant même jusqu’à la Sibérie. Certains traits du chamanisme nordique proviendraient d’ailleurs de ces populations-ci pour se mêler aux traditions et à la culture germaniques. Il faut également noter que les chamanes mongoles utilisent à la fois les vocalisation, le tambour et parfois des instruments à corde. L’usage de ce fameux tambour, bien que fréquent, n’était donc pas une règle absolue. Mais simplement un outil, souvent privilégié dans certaines cultures ou par certains chamanes qui y trouvaient leur intérêt dans le cadre de leur pratique.
L’usage de tels instruments n’est donc pas obligatoire pour être un « bon chamane » et cela s’applique également à l’usage des plantes, etc. Seul compte le résultat final, à savoir : être en capacité de communiquer avec les esprits, voyager parmi les mondes, apporter des solutions à sa communauté pour son développement et le maintient de son harmonie, etc.
Ma vision personnelle du chamanisme
Personnellement, je trouve que cette notion de chamanisme est à la fois trop vague et trop réducteur. Trop imprécise, elle est souvent décrite comme une pratique spirituelle, une croyance ou un courant de pensée. Ce qui est faux à mon avis. Le terme de chamanisme a été très coloré, souvent affublé d’images stéréotypées qui laissent entendre des danses, des plumes, des drogues et du tambour. Or, comme on l’a vu, il existe autant de points communs qu’il y a de variations.
Un universalisme chamanique
Je suis d’accord sur le fait qu’il y a une sorte d’universalisme chamanique : comme on l’a vu plus haut, on retrouve beaucoup de points communs entre les diverses pratiques chamaniques de part le monde. Et cela bien que lesdites cultures soient très différentes. Pour reprendre l’exemple du chamanisme nordique, on sait qu’il y a eu des échanges et des influences de pratiques avec les Saami et les Lapons. Eux mêmes ont eu des contacts avec les Sibériens, qui ont eu des contacts avec des populations nomades de type mongol, etc. Cela explique que certaines pratiques matérielles se soient échangées. Ainsi, on retrouve souvent l’usage d’instruments, de chants, de plantes, etc. Mais ceux-ci ne sont que des moyens. Les buts recherchés sont pluriels : la communication et la négociation avec les esprits, l’établissement de rapports respectueux et harmonieux avec la Nature, l’usage de la méditation et de la transe, etc. Comme on l’a dit plus haut, le chamanisme ne désigne que les pratiques elles-mêmes. Ce n’est que l’ensemble des outils, mais pas la discipline spirituelle proprement dite qui relève de l’animisme.
Les spécificités des chamanismes
Certaines pratiques ou rites sont spécifiques à la culture d’appartenance. On ne peut donc pas parler de chamanisme comme on parlerait d’une religion unifiée, car ce n’est pas le cas. De même qu’il y a un socle commun, il existe également des variations qui sont soit d’origine culturelle, soit individuelle. Ce dernier cas relève de l’expérience, du vécu personnel et des messages que reçoit le chamane. Il développe son art, forge de nouvelles pratiques, fait des choix dans l’usage ou le non-usage de techniques. Tout cela en restant à l’écoute de son intuition et des messages reçu des entités avec lesquelles il collabore.
Le chamanisme, tout comme l’animisme, ne sont pas dogmatiques. Ils laissent le chamane libre de ses choix de pratiques en fonction de ses affinités et intuitions. Si le chamanisme était un arbre, on pourrait dire qu’il existe tout autant un tronc commun que de multiples branches. Et au bout des branches, se trouvent des petites ramifications.
Par delà une image caricaturale, une pratique spirituelle profonde et concrète
Je regrette quelque peu la tendance de notre société occidentale à traiter le chamanisme comme un effet de mode spirituel de type New Age inspiré par des cultures premières qui auraient l’exclusivité de la pratique chamanique. Déjà, n’en déplaisent aux ethnologues, il n’y a aucune exclusivité : on retrouve des cultures animistes sur tous les continents à travers l’histoire. Même en Europe, nous avons connu de grandes traditions animistes et chamaniques dont nous sommes les lointains héritiers. Le monde scandinave a su préserver cette tradition plus longtemps qu’ailleurs en Europe.
On ne peut pas non plus résumer la pratique des chamanes à jouer du tambour, absorber des plantes et partir en transe. Tout cela est bien trop réducteur, car il y a souvent derrière une démarche sincère, avec des objectifs spirituels profonds. Il ne s’agit pas que d’expérimenter des sensations, mais de vivre une spiritualité pour se mettre au service de sa communauté. J’aime à rappeler que le chamane ne croit pas, il vit et expérimente sa spiritualité de manière pratique et concrète.
Des pratiques chamaniques
Plutôt que de parler de chamanisme, je préfère parler de pratiques chamaniques. Cette expression englobe mieux à la fois l’universalisme et le pluralisme de ce que l’on entend par « chamanisme ». Ces pratiques chamaniques sont associées à une démarche spirituelle, quelque-chose qui se vit, qui s’expérimente, qui poursuit des objectifs. C’est quelque-chose qui est de l’ordre de la relation que l’on a au monde et du rôle qu’on y tient. C’est l’adoption d’un point de vue animiste du monde et de pratiques adaptées pour se connecter aux Puissances qui régissent ce monde.
Dans le cadre de ces pratiques chamaniques, il n’y a pas de règles, juste des traditions qui se transmettent ou des outils et des techniques mis au point par les chamanes au cours de leurs expériences et selon leurs intuitions. Le tambour ou tout autre outil n’est donc pas un impératif pour faire le chamane. Il est juste un outil disponible parmi tant d’autres. Le chamane a donc le choix de l’utiliser, ou pas, comme il peut aussi se forger de nouveaux outils, expérimenter d’autres voies. De la même manière que l’habit ne fait pas le moine, plumes et tambours ne font pas le chamane.
J’aborderai lors d’autres articles la notion d’animisme et celle du chamane en particulier. En attendant le prochain article, chers amis, restons curieux, soyons ouverts, portez vous bien, soyez en paix et que les Puissances vous gardent.